jeudi 1 août 2013

La Femme, Avenir de notre Démocratie (*)


La Femme africaine est l'Avenir de l'Afrique car c'est uniquement en militant à son véritable épanouissement que débutera le processus de la Renaissance africaine.




« Ce que nous sommes et ce que nous serons, nous le devons une fois seulement à notre père mais deux fois à notre mère. » Proverbe bambara

                                                              ***

En hommage aux Femmes au travail. Des Femmes qui travaillent ! à toutes nos mères, sœurs, épouses… l’Afrique compte sur vous !


***


INTRODUCTION


Cette contribution est la suite logique d’une précédente réflexion que nous avions faite en prélude à la célébration de la Journée internationale de la Femme. Celle-ci était intitulée  La Femme, notre Avenir (1).  Elle était motivée par une conviction intime qui s’est imposée à nous car évidente par elle-même qui est la suivante : Tant que nous n’aurons pas « inventé et pensé » une « démocratie nôtre » le développement sera une quête illusoire. Il nous semble que le plein épanouissement de la femme demeure la condition sine qua none pour construire notre « modèle démocratique » viable. Si nous revenons poursuivre cette réflexion, c’est pour marquer d’une empreinte pensante la Journée de la Femme africaine qui a été célébrée le 31 juillet dernier. Penser la démocratie est une entreprise fort périlleuse et la critiquer demeure une tâche délicate mais l’enjeu imposait ce risque car ce qui est en jeu c’est l’avenir de l’Afrique. A la question de savoir, la démocratie a-t-elle échoué en Afrique ou plus précisément en Afrique subsaharienne ; beaucoup seraient tentés de répondre par l’affirmative. Exemplifiant leurs arguments par la paupérisation galopante des populations africaines, la mauvaise gouvernance, les coups d’Etats, les rebellions, les meurtrières crises postélectorales. D’autres plus radicaux ont fini par conclure que la démocratie n’est pas faite pour les Noirs. Cette opinion a été analysée avec lucidité par l’universitaire sénégalais Pathé Guèye. Ecoutons-le : « le passage à la démocratie pluraliste, au lieu d’être l’annonce d’un véritable renouveau historique, tournent au contraire au cauchemar macabre. Pour certains, cette tournure, somme toute paradoxale de la marche de notre continent, ne peut-être que la énième confirmation de leur conviction que les Africains ne sont pas faits pour la démocratie ou, ce qui revient au même, que celle-ci n’est pas faite pour les Africains. (2)» Par ailleurs Francis Fukuyama, dans son essai La fin de l’histoire et le dernier homme. (Flammarion, 1992). Dans son livre, l’auteur, en s’appuyant sur la logique du déterminisme global de l’Histoire (développée dans la Misère de l’historicisme par Karl Popper), reprend la thèse du régime inévitable de la fin de l’Histoire pour proposer celui de la démocratie pluraliste. Celui-ci sera, d’après l’auteur, le « point final de l’évolution idéologique de l’Homme (p. 11)» et « la forme finale de tout gouvernement humain ».Il faut le reconnaitre la démocratie est l’objet d’un paradoxe intimidant. En même temps que la démocratie triomphe elle semble décevoir car il ne cesse de croître un sentiment diffus et latent de déception. On comprend donc aisément pourquoi le professeur Pierre Rosanvallon, éminent historien de la démocratie et titulaire de la Chaire d’histoire moderne et contemporaine au Collège de France, affirmait que « la démocratie est un concept à problème et qui fait problème ». Car on l’accuse partout et pour tout. Mais pour mener à bien notre analyse n’est-il pas opportun de se demander qu’est-ce que la démocratie ?

   
A- Qu’est-ce que la Démocratie ?

Une imposante livraison de La Revue du Mauss (N°25, 1er semestre, La Découverte, 2005, 526 p.) mettait en garde contre le spectre du totalitarisme qui guette les sociétés mondialisées. Non pas un totalitarisme similaire à celui qui a sévi en Union soviétique ou dans l’Allemagne nazie, mais une nouvelle forme d’oppression issue de la désaffection des citoyens eux-mêmes pour l’idéal démocratique. La démocratie, méthodiquement vidée de son contenu, se serait plus qu’un théâtre d’ombres; elle serait en train de mourir faute d’adversaires la combattant. Elle est tellement devenue une évidence de la pensée politique que c’est devenue presqu’un « crime » de la critiquer. Mais peut-on parler de la Démocratie sans savoir ce qu’elle est vraiment ? Qu’est-ce donc que la Démocratie ? Est-il possible de la définir ? Tout le monde sait de quoi il s’agit, semble-t-il. Telles sont les questions que devraient se poser tout intellectuel qui se donnerait pour « projet suicidaire » de « Penser la démocratie » D’ailleurs pourquoi de telles questions devraient-elles être posées ? Laissons Paul Veyne nous mettre en garde : « l’expérience prouve que l’indifférence pour le débat de mots s’accompagne ordinairement d’une confusion d’idées sur la chose.(p.9)» s’interrogeait-il dans son ouvrage Comment on écrit l’histoire (Seuil, 1978) Car il n’y a jamais eu de mot auquel on ait attribué autant de signification que celui de Démocratie. Si bien que ce terme s’est transformé en une succession de lettres alphabétiques vide de sens. Il est ainsi devenu, comme le souligne Philippe Beneton, un mot « gonflé de vent » et à propos duquel « les discutions sont frappées de nullité intellectuelle, car on ne sait pas de quoi l’on parle». Le concept de démocratie, dont on abuse plus qu’aucun autre concept, prend les sens les plus divers et même les plus contradictoires. A cet égard, si certains avaient parfois tenté de la définir en lui opposant le plus souvent la dictature, d’autres en revanche, ont juxtaposé ces deux termes comme deux notions tout à fait complémentaires. Tels, par exemple, les auteurs de l’Article premier de la Constitution chinoise du 4 décembre 1982, qui ont disposé que : « La République populaire de Chine est un État Socialiste et de Dictature Démocratique… » Ce flou sémantique crée par le concept de Démocratie est si intriguant que Philippe Braud mettait en garde contre toute tentative de penser le phénomène démocratique et qu’« il faut être d’une certaine inconscience pour écrire sur la démocratie. Le facteur qui devrait décourager toute tentative est, bien sûr, l’extraordinaire profusion de la littérature qui lui est consacrée.(3)» Blanqui disait de la démocratie que c’était un mot vide de sens, « Qu’est-ce donc qu’un démocrate ? » demandait-il, « C’est là un mot vague, banal, sans acception précise,  c’est un mot en caoutchouc.» renchérissait-il. Force est donc de reconnaître la pertinence de ce que Giovanni Sartori, théoricien de la démocratie, formulait en ces termes « nous vivons à l’âge de la démocratie dans la confusion, on a jamais organisé aussi intensément, aussi habilement et sur une si grande échelle une telle falsification idéologique et terminologique.» Voilà qui est clair. Mais comme le débat de mot est une nécessité nous nous risquerons à essayer de définir la Démocratie. La démocratie est, selon la très célèbre définition d’Abraham Lincoln, 16è président des Etats-Unis, « le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Définie donc étymologiquement elle est le pouvoir du Peuple. En d’autres termes la démocratie serait le régime politique où le pouvoir appartient au Peuple. La légitimité des gouvernants étant conférée par les citoyens en âge de voter qui délèguent leur souveraineté par des élections. Si la racine grecque « démos » est généralement traduit par peuple, une ambiguïté demeure au niveau du terme grec « kratos » auquel bien de significations sont données allant de force à pouvoir. Cependant précisons qu’il existe une polémique quant à la définition de la notion de « Peuple ». Car le terme de « plèthos » existe bien en grec ancien et désigne aussi une partie du Peuple. On a ainsi assez critiqué le fait que la démocratie athénienne avait une grande faiblesse notamment le nombre limité de citoyens car sur 400.000 habitants que comptait Athènes au Vè siècle seul 10% participait activement à la vie politique, les femmes, les métèques, les esclaves n’ayant pas la qualité de citoyens. C’est donc une chose essentielle qu’est le pourcentage de participation du peuple au processus démocratique.
A présent attaquons-nous à l’une des raisons qui font de la Femme africaine, l’avenir de « notre démocratie ».


B-  Peut-on bâtir « notre Démocratie » avec un « Peuple affamé » ?

L’une des principales difficultés de notre jeune démocratie africaine demeure la pauvreté de nos populations. Malgré la croissance économique qui est une réalité évidente dans plusieurs pays africains il reste que cette richesses n’a pas encore été « démocratisée » c’est-à-dire que les populations n’en ressente pas suffisamment les effets sur leur vie quotidienne. La question est donc de savoir s’il est réaliste de vouloir bâtir une démocratie dans ces conditions. Peut-on parler de vote en tenant compte d’un programme de gouvernement à un Peuple dont le premier souci demeure la recherche de pain ? L’adage populaire est bien connu : « Ventre affamé n’a point d’oreille ». Jean-Paul N’Goupandé écrit: « Quant au développement économique, nous avons omis de regarder l’évolution du monde contemporain, où il n’apparaît nulle qu’on peut bâtir un système démocratique sans accumulation d’un minimum de richesses et constitution de classes moyennes dont on sait qu’elles sont porteuses des valeurs démocratiques (…) La démocratie de la faim est une démocratie sans lendemain. (…) Le grand défi de la démocratisation en Afrique, c’est sans doute la pauvreté, qui sape les bases encore fragile du processus. (…) Les populations africaines sont désormais très sceptiques sur les bienfaits de la démocratie, comme elles le sont devenues sur ceux de l’indépendance. Le fossé s’agrandit entre les éternels « damnés de la terre », pour reprendre le titre du livre de Frantz Fanon, qui ne croient plus que la politique puisse changer leur vie, et les politiciens qui s’écoutent parler, sans se demander si leurs belles paroles ont un réel écho populaire. (4)» Et René Dumont de renchérir : « La démocratie ne sera jamais raffermie tant que se prolongera un si haut degré de misère ; et tout choix de société implique d’abord celui de la répartition plus ou moins inégalitaire des revenus.(5)» Ce qui précède démontre pourquoi l’amélioration de la condition de la femme africaine demeure plus qu’urgente. En effet toutes les études sérieuses sur la question démontrent avec éloquence qu’en Afrique subsaharienne elles tiennent une place hégémonique dans la production et la commercialisation des cultures vivrières. « Leur rôle dans la vie économique, qu’il s’agisse du secteur formel ou des activités informelles, est primordial : à elles seules, elles assurent 80% de la production agricole et fournissent 95% de l’énergie consommée par la population. Elles réalisent 70% du travail agricole, la quasi-totalité de la transformation des produits de base et de 60% à 90% de leur commercialisation. Pourtant, elles ne disposent que de 10% des revenus et ne sont propriétaires que de 1% des biens.(6)» Cela est si vraie à telle enseigne que l’ex-secrétaire d’État américaine Hillary Clinton, lors d’un discours en Éthiopie, résumait cette vérité évidente par elle-même en disant que  «Les femmes africaines sont les plus travaillantes au monde. Si toutes les femmes en Afrique, du Caire à Cape Town, décidaient de cesser de travailler, l’économie africaine s’effondrerait.» C’est pourquoi nous proposons qu’une attention particulière soit portée aux femmes rurales qui sont de véritables héroïnes car à la réalité elles nourrissent les populations africaines malgré les incommensurables difficultés auxquelles elles sont confrontées. René Dumont nous avertissait déjà en 1991 : « A notre avis, il n’y aura pas de vraie démocratie tant que s’approfondiront les inégalités, et surtout tant que subsisteront et s’accroîtront de si grandes misères (…) Une amélioration du statut social et économique des femmes rurales les assurera non seulement la dignité, mais constituera l’un des éléments de base de la lutte contre la pauvreté et de l’accès à une « vraie » démocratie.(7)» C’est la raison essentielle pour laquelle nous sommes convaincu que les propositions du célèbre agronome français, René Dumont nous semblent réalistes, d’une extrême actualité donc à approfondir. Ecoutons : « Ce que revendiquent d’abord les femmes rurales, ce sont des moyens pour faire face à leurs responsabilités vis-à-vis de leurs enfants, tout en assurant leur autonomie personnelle. Donc l’accès au crédit. (…) Elles veulent aussi des conseils techniques appropriés à leurs forces et à leurs ressources. Pour le crédit, des fonds extérieurs sont indispensables, ainsi que des organisations de  crédit spécifiques aux femmes afin d’éviter qu’elles soient désavantagées par le rapport aux hommes. On ne disposera pas demain de tous les moyens que nous avons évoquées pour améliorer efficacement le sort de la génération des femmes qui ont actuellement la trentaine. Sans les négliger, il nous paraîtrait opportun de miser davantage sur la génération suivante, celle de leurs fillettes. (…) Mais rien ne pourra avancer tant que les pouvoirs publics et les leaders d’opinion ne prendront pas publiquement, sur les problèmes cruciaux du statut des femmes.(8)» La voie de l’alphabétisation en langue locale devra être explorée car il pourrait aussi être possible de donner des cours simplifiés de comptabilité dans nos ethnies afin de permettre à toutes ces braves femmes de gérer avec efficacité leurs coopératives.  

CONCLUSION
Au terme de notre analyse retenons qu’il nous faut comprendre le sens de l’importance que nos mythes négro-africains accordaient à la femme afin de penser « notre démocratie ». C’est la même importance que toutes les nos sociétés traditionnelles d’Afrique subsaharienne accordent à la Femme dans l’organisation socio-politiques. Comme le dit la pensée philosophique il faut partir de nous-mêmes pour revenir à nous-mêmes.
Parlant du terme « notre démocratie » mentionné dans la formulation même de notre réflexion il est justifié par le fait qu’«il n’y a pas de démocratie en soi, mais des démocraties(9)». Il appartient à chaque Peuple de lui donner le contenu adapté à ses expériences historique et politique et selon sa Culture car il n’y a pas de modèle idéal à copier, à importer ou à imposer ou encore de « démocratie prêt-à-porter ». Néanmoins reconnaissons qu’il existe des valeurs universelles à cultiver pour le bon fonctionnement de toute véritable démocratie, valeurs auxquelles il faut éduquer le peuple et surtout la jeunesse féminine pour la préparer à être des Femmes accomplies et conscientes de leur responsabilité demain. Comme l’affirmait l’actuel président des Etats-Unis d’Amérique dans son discours lors de sa visite au Ghana en 2009 : « Comme je l’ai dit au Caire, chaque nation façonne la démocratie à sa manière, conformément à ses traditions. Mais l’histoire prononce un verdict clair : les gouvernements qui respectent la volonté de leur peuple, qui gouvernent par le consentement et non par la coercition, sont plus prospères, plus stables et plus florissants que ceux qui ne le font pas. »
Nous savons tous le rôle déterminant qu’a joué la déesse Isis dans le mythe d’Osiris, l’un de plus passionnants de la brillante civilisation égyptienne, dont on sait qu’elle est d’origine négro-africaine. « Le rôle de la femme, dans ce mystère que nous avons évoqué, mérite une attention spéciale. C’est Isis qui ressuscite Osiris : c’est elle qui donne naissance à Horus. Dans les deux cas, c’est la femme qui est artisan de la victoire de la vie sur la mort. (10)»  Comme Isis leur glorieuse prédécesseur, ressuscitant son frère et époux Osiris, la Femme africaine doit sauver l’Afrique.


NOTES :

(*), Extrait d’un essai  à paraître : La Femme, avenir de notre Démocratie

LIENS sur internet :

(1) Publiée par Fraternité Matin, N° 14.481 du 07/04 et 14.482 du 08/04
(2) Guèye Sémou, Du bon usage de la démocratie en Afrique, N.E.A, 2003, p.9
(3) Braud Philippe, Science politique : La démocratie, Seuil, 1997, p.7  
(4) N’Goupandé Jean-Paul, L’Afrique sans la France, Albin Michel, 2002, pp. 14 à 15
(5) Dumont René, Démocratie pour l’Afrique, Paris, Seuil, 1991, p.13
(6) Godfrain Jacques, L’Afrique, notre avenir, Michel Lafon, 1998, p.117
(7) Dumont René, ibidem, pp. 283 à 293
(8) Dumont René, ibidem, pp.295 à 298
(9) Mougniotte Alain, Éduquer à la démocratie, L’Harmattan, 2003, p.58.
(10) Mveng Engelbert, L’Afrique dans l’Eglise : paroles d’un croyant, L’Harmattan, 1985, 15